Le vélo dans la nouvelle ville de Montréal

Le 8 novembre 2001

Les élections municipales 2001 à Montréal

Avec le projet «Une île, une ville», Montréal arrive à un carrefour de son histoire. La nouvelle administration municipale a plus d’un défi à relever, en particulier en matière de transport. L’équipe de M. Gérald Tremblay arrive en poste et doit maintenant concrétiser ses engagements. M. Tremblay, lors d’une entrevue au magazine Vélo Mag, a affiché des sympathies évidentes pour l’idée d’une plus grande utilisation du vélo dans la ville. Afin que cette sympathie se transforme en un engagement indéfectible de M. Tremblay et de son équipe, Vélo Québec soumet à la réflexion les propositions suivantes.

Pour en finir avec le vélo stationnaire

Le vélo est extrêmement populaire à Montréal. Près de 9 résidents sur 10 ont enfourché une bicyclette dans leur vie. Plus d’un demi-million de Montréalais en font au moins une fois par semaine.

L’histoire d’amour de notre population avec la bicyclette et ce qu’elle symbolise sur le plan de la qualité de vie dépasse maintenant les frontières. D’ailleurs les villes intéressantes, dont Montréal fait partie, ont très souvent en commun d’être tentantes à marcher ou à pédaler. Montréal est équipée en pistes cyclables plus que beaucoup d’autres endroits dans le monde. Cependant des villes comme Londres ou Paris, qu’on croyait irrémédiablement hostiles à toute vie cycliste, ont décidé de prendre un cap vélo accéléré. Notre avance ne durera pas longtemps si rien n’est entrepris pour donner un nouveau souffle à des équipements cyclables qui datent d’une autre époque.

En effet, plus de 90 % des voies cyclables de Montréal ont été réalisées entre 1975 et 1985. L’administration Drapeau-Lamarre, dont le coup de cœur vélo était un secret bien gardé, a été, avec la Communauté urbaine de Montréal et le ministère des Transports du Québec, le véritable artisan du Montréal cyclable.

La population a élu, depuis ce temps, des maires cyclistes. Ceux-ci ont dirigé des administrations qui ont posé des gestes valables pour la promotion de la bicyclette et qui ont chacune produit leur propre projet de politique. À chaque fois, ces projets ont reçu l’appui unanime des milieux cyclistes.

Pourtant, en dépit de sentiments on ne peut plus favorables aux cyclistes et au vélo, aucune de ces excellentes politiques vélo n’a dépassé le stade de projet. Le réseau cyclable montréalais persiste à faire du vélo stationnaire depuis plus de 15 ans.

On nous a souvent rapporté, en coulisses, que les meilleures initiatives subissaient le hachoir des préjugés automobilistes des ingénieurs de la circulation ou qu’elles étaient étouffées par l’inertie et le manque de ressources accordées aux fonctionnaires.

Nous avons toujours accepté de ce genre d’explications en nous répétant que Rome ne s’était pas construite en deux jours. Maintenant, cela fait trop longtemps que la machine montréalaise ronronne sur ses acquis; Vélo Québec vient dire aujourd’hui qu’un changement de braquet s’impose.

Si le réseau cyclable n’a guère progressé, l’utilisation de la bicyclette a, par contre, augmenté et s’est même diversifiée. En plus de se développer comme le populaire véhicule récréatif que l’on connaît, le vélo est devenu un moyen de transport pour plus de 140 000 résidants de l’île de Montréal. Dans un quartier central comme le plateau Mont-Royal, quelque 10 % des déplacements s’effectuent en vélo. Ce qui est diablement plus, soit dit en passant, que ce qu’il est loisible d’observer dans plusieurs villes européennes, alors que la part moyenne des déplacements en vélo avoisine 5 %.

Le vélo est passé du stade de phénomène à celui de composante de la vie quotidienne de notre ville. Les cyclistes sortent leur vélo non seulement pour la balade ou la défonce de fin de semaine, mais aussi pour se rendre au travail, faire des courses, visiter des amis ou simplement aller prendre un verre sur une terrasse. Pour répondre à la demande, selon l’expression consacrée, le réseau cyclable doit donc être conçu en fonction de ces usages multiples et nouveaux.

Or, comme il n’a pas augmenté, le réseau montréalais est engorgé par les cyclistes, ainsi que par une kyrielle d’autres usagers sympathiques : les patineurs, les planches, les poussettes, les coureurs, les chaises roulantes, sans parler des piétons qui semblent s’y trouver plus à l’aise pour marcher côte à côte que sur certains trottoirs.

Ayant été conçu à une autre époque, le réseau cyclable montréalais ne correspond plus, en outre, aux besoins actuels des cyclistes. Nous affirmons qu’il faut planifier une nouvelle génération de voies cyclables. Il faut passer à une nouvelle catégorie de pistes qui nous mènent d’un point à l’autre par le meilleur chemin possible, et non qui nous font faire des détours par tout ce que la ville contient de petites rues et de ruelles.

Le vélo à Montréal

Quelques chiffres en bref

  • 42 % des adultes de l’île de Montréal (565 000 personnes) font du vélo.
  • Le quart (24,7 %) des adultes qui font du vélo (140 000) l’utilise comme moyen de transport. Pour 13,6 % de ces adultes cyclistes (77 000), il s’agit d’un moyen de transport occasionnel; pour 11,1 % d’entre eux (63 000), il s’agit du principal moyen de transport.
  • Près de la moitié des adultes cyclistes (49,2 %) en font jusqu’à la fermeture des pistes en novembre.
  • Plus de 50 000 personnes (9 % des adultes cyclistes) font du vélo l’hiver.
  • Le taux d’utilisation du vélo tend à être plus important avec l’augmentation du revenu. Par contre, l’utilisation quotidienne de la bicyclette tend à être plus courrante lorsque le revenu est plus bas.
  • 52 % des 35 à 44 ans font de la bicyclette. Parmi les adultes, c’est le plus cycliste de tous les groupes d’âge.
  • 85,6 % des Montréalais se déclarent favorables à encourager le vélo dans la ville.
  • 93,6 % des Montréalais considèrent que la mise sur pied d’un réseau cyclable augmente la sécurité des cyclistes.
  • 88, 3 % des Montréalais croient que le vélo contribue à diminuer la pollution automobile.

Le centre-ville accessible aux cyclistes

L’un des premiers projets à réaliser dans ce sens consiste à rendre accessible le centre-ville aux cyclistes. Lieu de travail et d’études (on y trouve trois universités et deux cégeps), lieu de divertissement et de magasinage, le centre-ville est hautement fréquenté. Pourtant il reste un obstacle important pour les cyclistes : pas d’accès sécuritaire, peu de stationnement. À l’est, le réseau cyclable s’arrête à la rue Berri, à l’ouest à la rue Green. Entre les deux : rien ! Le centre-ville constitue pour les utilisateurs de la bicyclette une barrière physique entre l’est et l’ouest.

Le centre-ville gagnerait à être plus accessible en vélo, comme c’est la tendance dans les villes modernes qui misent sur la qualité de vie et qui ont compris qu’un réel développement économique doit s’appuyer sur une diminution de la pollution et une amélioration de la santé publique. Il n’est pas nécessaire d’être doté d’un grand sens de l’observation pour constater que la circulation automobile a atteint, dans le centre-ville de Montréal, un point de saturation dont il faudrait s’inquiéter.

Un lien convivial entre les arrondissements

Nous venons de pointer du doigt une certaine inertie qui a paralysé Montréal. Mais il y a eu pire. Il s’est constitué tout un club de municipalités dont le bilan cycliste est nul. Pour donner une chance à l’avenir, nous éviterons de distribuer les bonnets d’âne.

Le résultat le plus navrant de cette insensibilité à la réalité est l’inachèvement du tour de l’île. Le projet de ceinturer l’île de Montréal d’une route cyclable constitue le plus ancien des rêves cyclistes montréalais. En dépit des efforts de Montréal, Verdun, Lasalle Lachine, Beaconsfield et Pierrefonds, la partie ouest de l’île n’a jamais été complétée. Une des bonnes choses reliées à l’apparition d’une nouvelle ville est qu’elle offre l’opportunité de débloquer une situation qui semblait sans issue depuis belle lurette.

Vélo Québec veut lancer un grand chantier pour terminer la planification et la réalisation du réseau cyclable de l’île; cela permettrait non seulement de compléter le tour de l’île, mais aussi de relier efficacement les diverses parties de l’île. Dans le contexte de l’apparition de la nouvelle ville, ces voies cyclables formeront un lien convivial entre les différents arrondissements. Elles contribueront à créer un sentiment d’appartenance à la communauté montréalaise. Après les tempêtes verbales et juridiques des derniers mois, quelques coups de pédales d’un coin à l’autre de l’île aidera sans doute à adoucir les mœurs.

Une ville accueillante pour les enfants

On veut inverser le mouvement qui pousse les familles à aller s’installer en banlieue. Vélo Québec supporte cet objectif. On n’y arrivera cependant pas si la circulation ne ralentit pas et si les parents gardent l’impression que les rues sont une jungle asphaltée. Pourquoi ne pas rendre les rues sécuritaires pour que les enfants de Montréal puissent faire une chose aussi simple que de se rendre à l’école en vélo ou à pied? Tout le monde y gagnera. La vie dans les quartiers sera meilleure. Nos enfants auront la possibilité d’acquérir une autonomie de déplacement qui contribuera à leur maturité et soulagera les parents de la corvée du taxi. Qui plus est, ils seront plus actifs physiquement, une considération majeure au moment où plusieurs sonnent l’alerte devant les risques pour l’avenir que représentent l’obésité croissante des jeunes générations et leur tendance à bouder les activités physiques.

En appelant à créer des rues sécuritaires pour que les enfants puissent se rendre à l’école en vélo, Vélo Québec propose de rajuster le tir et de remettre les priorités aux bonnes places. La ville est habitée par les humains et doit être aménagée pour eux. Sous le prétexte d’une adéquation entre fluidité de la circulation automobile et progrès économique, on a assujetti la ville aux besoins exclusifs de l’automobile. On a ainsi créé un cauchemar urbain que ceux et celles qui en avaient les moyens n’ont pas tardé à fuir.

On oublie souvent que, sur l’île de Montréal, le tiers des ménages ne possède pas de voiture. Cette proportion augmente à 63 % chez les résidants du centre-ville. Dans la plupart des quartiers, les citoyens se plaignent de la circulation automobile – trop d’autos trop vites –, qui dégrade la qualité de vie. Il faut revoir nos choix de déplacements. Accordons dans les rues la priorité aux piétons, ce qui est, nous le concédons, tout un contrat culturel à Montréal et au Québec, puis favorisons un peu plus les cyclistes et le transport en commun, et un peu moins les véhicules motorisés individuels. Il ne s’agit pas d’une grande révolution, mais simplement d’une mise à jour de la manière dont les citoyens urbains d’aujourd’hui veulent s’approprier la ville.

Vite un bureau du vélo !

Ces changements à opérer requièrent des investissements, ainsi que la constitution d’une équipe qui se mette à l’ouvrage. Dans les dernières années, on a réduit les effectifs affectés au vélo, au point que beaucoup d’expertise cycliste de la Ville a été perdue et que rien n’a été entrepris pour la mettre à jour et l’accroître. Voilà pourquoi Vélo Québec réclame la création d’un bureau du vélo. Celui-ci devrait être mis en place à l’intérieur du Service de la circulation. Il rassemblerait une petite équipe multidisciplinaire. Il serait voué à la planification, à l’aménagement de voies cyclables ainsi qu’à l’éducation à la sécurité à vélo. Ce bureau serait en lien avec le Service de police ainsi qu’avec le Service des parcs lorsque les pistes existantes traversent les parcs de Montréal.

On veut des promesses et des engagements !

Vélo Québec entend proposer au printemps à la nouvelle Ville un projet de schéma du réseau cyclable montréalais. Un comité de travail sera mis sur pied au cours des prochaines semaines. Il sera formé d’experts de Vélo Québec, de firmes externes et de représentants de la nouvelle Ville.

Pour que ce plan prenne forme, il faut un engagement politique ferme des candidats à la mairie. Cet engagement doit se traduire par une volonté nette de développer notre réseau cyclable en commençant par le centre-ville. Il doit viser à terminer le parc de pistes cyclables qui souffre en ce moment d’être fractionné. On devra établir des connexions directes entre les entités composant la nouvelle ville, desservir les pôles d’emplois, les nœuds de transport en commun, les artères de divertissement et de magasinage.

Cet engagement que nous réclamons doit inclure le développement d’un réseau local rendant accessible les écoles aux enfants qui souhaitent y aller en vélo. C’est un plan de déplacement à l’échelle du quartier qui mise sur les déplacements piétons et cyclistes et qui permet aux plus jeunes de se déplacer sécuritairement.

Ces engagements doivent se traduire en ressources humaines, en plan d’action, en investissements. Dans ce dessein, nous appelons à un bureau du vélo composé d’une équipe de professionnels et de techniciens.

Doubler le réseau existant

Présentement, on dénombre sur l’île de Montréal 350 kilomètres de voies cyclables. Le schéma que Vélo Québec planifie de tracer doublerait le nombre de kilomètres existants. Les coûts de ces réalisations pourraient s’élever à 35 millions de dollars, soit un coût équivalant à la réfection en cours du rond-point l’Acadie (43 millions). Échelonnés sur 9 à 10 ans, ces travaux reviendraient à 3 ou 4 millions par année.

Rappelons qu’une politique visant à favoriser l’utilisation de la bicyclette a des effets bénéfiques immenses sur la santé d’une population en général. La bicyclette est aussi un mode de transport non polluant. Elle contribue à réduire les gaz à effet de serre et les autres nuisances provoquées par la circulation automobile, autant de facteurs affectant aussi la santé d’une population. Mode individuel de déplacement, le vélo est un véhicule incroyablement efficace dans les courtes distances. Jumelé aux transports en commun et à d’autres mesures, il peut, en milieu urbain, participer à un cocktail transport susceptible de concurrencer l’usage de l’automobile individuelle.

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