Chaque année depuis 40 ans, la voiture cède pendant quelques heures la place au vélo à l’occasion du Tour de l’Île de Montréal. S’il semble aller de soi, ce geste relève pourtant du petit miracle.
Pour le mesurer, il suffit de se plonger dans le contexte social et économique du début des années 1980. Avec le second choc pétrolier qui propulse le prix de l’essence vers des sommets records, l’idée de se déplacer au guidon d’un vélo a tout d’un coup beaucoup de sens. Seul problème : l’objet même, associé symboliquement aux enfants et aux écolos, est tout sauf populaire. Comment l’imposer dans l’espace public, pour y normaliser sa place ?
Chez Vélo Québec, qui vient d’ailleurs d’adopter ce nom, on croit détenir un début de réponse à cette question. « Nous réclamions des aménagements cyclables pour favoriser la pratique libre et sécuritaire du vélo, se rappelle Michel Labrecque, qui travaillait alors chez Vélo Québec, avant d’en être plus tard président et directeur général. Parmi les moyens pour y arriver, il y avait ce projet de créer un rendez-vous populaire qui, en faisant pédaler les non-cyclistes, les rallierait à cette cause. »
Les ingrédients du succès
En 1983, une petite délégation prend donc le chemin de la Grosse Pomme pour participer au Five Boro Bike Tour. Cette randonnée cycliste annuelle, qui fait la part belle aux cinq arrondissements de New York (Manhattan, Brooklyn, Queens, le Bronx et Staten Island), en était à sa sixième édition. Total des inscrits : plus de 12 000 ! Les émissaires reviennent enchantés de leur mission. C’est donc comme ça qu’on organise un méga-événement de vélo.
À cette même époque, Vélo Québec a déjà commencé à faire ses classes en la matière. « Nous avions d’ores et déjà organisé Les Grands Re-Lait, une série de cinq événements cyclistes urbains d’une journée avec Les Producteurs de lait du Québec (PLQ) », se souvient Michel Labrecque. L’enthousiasme des participants aux Grands Re-Lait confirme qu’il y a de l’appétit, au Québec, pour ce genre d’expérience. « Ce partenariat avec les PLQ allait être déterminant pour le Tour de l’Île », relève-t-il.
Il faut dire que, dès le départ, Vélo Québec se fait un point d’honneur de demeurer accessible. Pas question par exemple de verser dans le militantisme à la sauce vélorutionnelle. Même chose en ce qui a trait aux médailles pour souligner les meilleures performances sportives ; il n’y en a pas. « En plein boom de la course à pied, avec le Marathon de Montréal qui connaissait de belles années, on nous reprochait l’absence de chronomètres », se remémore Michel Labrecque.
Le moment propice
N’empêche, les planètes sont bien alignées lorsque le ministre des Transports cogne à la porte de Vélo Québec à la fin de l’été 1985. Guy Tardif demande alors à la petite
équipe d’organiser une activité pour inaugurer des pistes cyclables dans l’est de la métropole. Délai pour livrer la marchandise : à peine six semaines. « Une chance, nous avions dans nos cartons le concept d’un grand événement qui serait un tour de l’île de Montréal ! », raconte Michel Labrecque.
Le reste appartient à l’histoire. Le premier Tour de l’Île de Montréal se tient à la mi-octobre. Environ 3500 cyclistes s’élancent dans les rues de Montréal qui leur sont réservées pour une toute première fois à partir du Stade olympique, pavant ainsi la voie à une tradition qui perdure. « Si le vélo est aujourd’hui partie intégrante de ce qu’est Montréal, de son identité, c’est un peu grâce au Tour de l’Île », pense Michel Labrecque, qui sera sur la ligne de départ de l’événement le 1er juin prochain. Et vous ?